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Saisi dans la Presse

«Hier redoutée, aujourd’hui exhumée : l’arbalète.»

par Halima Ghériballah, paru dans Les Temps Médiévaux n°19

4-86-134Une arme qui soulève bien des interrogations tant par son fonctionnement que par son usage.

Depuis quand existe-t-elle ? Dans quel pays l’utilisait-on ? Qui s’en servait ? Quel était son degré d’efficacité ? Comment était-elle construite, avec quels matériaux ? Autant de questions auxquelles Serge Adrover, après des années de recherche, se plaît toujours à répondre, derrière son pas de tir de huit mètres où il initie petits et grands au maniement de l’arbalète, coiffé de son camail et habillé de sa broigne de cuir et de ses grèves.

De sa passion d’enfant, Serge Adrover en a fait sa profession. Il s’illustre dans le métier d’arbalétier, mais aussi dans celui de graveur de matrices de monnaie embrassant les périodes antique et médiévale (métier qui fera l’objet d’un prochain article).

Sa clientèle se compose de troupes médiévales, de musées (France, Belgique, Luxembourg, Hollande) et de passionnés qui le sollicitent pour des restaurations (arbalètes) et des fabrications (matrices et arbalètes) sur mesure ou sur plans. Il reconstitue des arbalètes du Xème, XIème, XIIème, XIIIème, XIVème et XVème siècle. Il forge dans son four en argile toutes les pièces de ses arbalètes et les mécanismes d’armement : le cric, la moufle et le pied de biche ainsi que les différents carreaux (projectiles des arbalètes). Il est sur le point de réaliser une arbalète romaine d’après des plans nouvellement acquis ainsi qu’une baliste. En attendant d’en savoir plus sur ses dernières trouvailles, Serge Adrover nous invite à pousser la porte de son antre.

Le mot français «arbalète» vient de arcubalista, «arc» plus «baliste» démontrant ainsi que l’arbalète est moins ancienne que l’arc et en dérive.

L’arbalète nous vient de Chine, vers 1500 av. J.C. La dynastie des Shang l’utilisait (1500-1027 av. J.C.), puis le peuple Zou, peuple des steppes. En effet, ces derniers attaquèrent l’Etat de Shang vers 1050 à l’aide de chariots de guerre et d’arbalètes.

Serge Adrover, un des rares fabricants d’arbalètes, fixe le mécanisme métallique sur l’arbrier, le squelette de bois de l’arme.

Mais c’est sous la dynastie des Han (206 à 220 av. J.C.) qu’elle va devenir d’un usage courant en Chine. Malgré la connaissance du fer dans ces régions dès le VIIème siècle av. J.C, le mécanisme de détente* était, contrairement à la plupart des autres armes, en bronze, probablement pour retarder l’usure de la corde ; le bronze étant plus doux que le fer.

L’arc* était constitué de plusieurs lames de bambou (3, 5 ou au maximum 7), liées et collées et recouvertes de soie laquée. Leur puissance s’échelonnait de 190 à 380 livres.

L’invention de l’arbalète serait donc attribuée aux chinois bien que certains historiens la revendiquent du sud-est asiatique, sous sa forme primitive, donc encore plus ancienne que la dynastie Shang (et toujours en usage chez les Moïs, les Khmer-Leu, au Viêt-Nam, en Thaïlande, au Cambodge et en Birmanie). Son mécanisme de détente était taillé dans de l’os et son arc fait de bois sombre.

Avant de s’intéresser à l’arbalète en occident, il ne faut pas passer à côté de l’invention unique, car aucun pays n’a jamais su reproduire cette arme redoutable qu’est la fameuse arbalète à répétitions que l’on doit à Zhuge Liang au IIIème siècle après J.C. Il est dans mes futurs projets de mettre au point cette arbalète exceptionnelle dont la caractéristique est de permettre le tir de 10 traits en quinze secondes, prouesse qui hisse l’arbalète au rang de l’arc, en matière de cadence de tir et même le dépasse. Ce système à répétition intégrait un mécanisme d’armement qui ne permettait pas un tir de plus de 80 mètres. Ce décroissement de la puissance diminuait évidemment le pouvoir de pénétration du carreau. Pour remédier à cet handicap, l’embout des carreaux était alors enduit de poison. On retrouve au Moyen Âge en France cette délicate intention, le poison étant remplacé par des excréments : septicémie assurée.

*Mécanisme de détente : noix.

*Arc : partie longue et flexible en bois, acier ou composite fixé au devant de l’arbrier afin de bander la corde.

On a longtemps pensé que l’arbalète avait fait sa première apparition en Occident à partir du Xème siècle. C’était sans compter l’historien grec Flavius Arrien (vers 95-175) qui déjà la cite ainsi qu’en témoigne une pierre tombale romaine contemporaine de l’historien, représentant très nettement une arbalète et son carquois. Par ailleurs, le traité d’art militaire de l’écrivain latin Végèce (fin du IVème siècle) mentionne bel et bien une «forme de scorpio» (scorpion) arme lançant des traits, appelée également «manubalistaes» (baliste de main). Toujours d’après Végèce, des légions gauloises auraient eu des corps d’arbalétriers, dits arcuballistae. Plus tard, il sera aussi question de «scorpio manualis». Les romains ont donc, de toute évidence, utilisé l’arbalète.

C’est approximativement à la fin de l’empire romain qu’on en perd la trace, sans doute par volonté du christianisme d’effacer toute empreinte romaine. C’est au Xème siècle qu’elle resurgit dans un document extrait de la bible du moine français Haïmo, où un arbalétrier est représenté. De même, une enluminure de la fin du Xème montre deux arbalétriers à pied tirant contre les remparts de la ville de Tyr.

Arbalète XIème de Charavine

4-86-96Plus tardivement, Guy d’Amiens, pour commémorer le premier anniversaire de la bataille d’Hasting, écrit un poème en 1067 dans lequel il est question de «balistantes». Je ne résiste pas à cette anecdote qui relate qu’une ordonnance de Guillaume le Conquérant, en 1085, stipule que les impôts seront perçus dans le Yorkshire avec l’aide persuasive de plusieurs arcuballistarii, capitaines d’arbalétriers. De quoi éradiquer la moindre tentative de fraude et laisser rêveurs nos huissiers d’aujourd’hui.

L’arbalète se distingue comme arme de guerre lors de la première croisade, au XIème siècle, comme l’évoque Guillaume de Tyr, historien des premières croisades. A cette époque, l’armement de l’arbalète est encore rudimentaire, à savoir, l’arbalétrier se juche sur l’arbalète, un pied de chaque côté des départs de branches de l’arc.

En aparté, une arbalète découverte à Colletière (38) dans le lac de Charavines a été datée du XIème, arbalète que j’ai de suite voulu recréer et qui figure désormais parmi les dix autres modèles. De même, des archéologues rencontrés au marché médiéval d’Herblay m’ont fait part de leur dernière trouvaille sur une motte féodale près de Poitiers : une arbalète aussi datée du XIème, mais en bien meilleur état. Fermons là la parenthèse archéologique.

Une des premières références sérieuses en Occident sur le sujet permet de citer Anne Comnène (byzantine) (1083-1148) qui, dans ses Chroniques l’Alexiade, fait une description redoutable qui ne fait aucun doute sur «cette arme jusque là inconnue des grecs». Anne Comnène finit son article avec «les traits (…) traversent un bouclier, perforent une cuirasse de fer épais et poursuivent leur vol de l’autre côté (…). Telle est l’action de l’arbalète, action réellement diabolique».

Cette arme est si meurtrière qu’elle est interdite, ainsi que l’arc, en 1097-1099 entre armées chrétiennes, par le Pape Urbain II. Cette interdiction fut plus ou moins respectée. On relate qu’en 1138, Louis VII s’entourait d’archers et d’arbalétriers. Le second concile de Latran en 1139 renouvela l’interdiction sous forme d’anathème, l’arbalète est dite «art mortel et haï de Dieu». Toutefois, Richard Coeur de Lion, malgré le bref d’Innocent III, réhabilite l’arme pour ses troupes à pied. Philippe Auguste suivra l’exemple. Ainsi, son utilisation se répandra de plus en plus.

L’arbalète redore son blason à partir des dernières décennies du XIème, mais sa consécration se fait à la fin du XIIème siècle. On la trouve sur terre comme sur mer et même les cavaliers s’en servent. Jean sans Terre, Philippe Auguste, Frédéric II de Hongrie compteront dans leurs armées des «balistarii equites» (arbalétriers montés). Cette arme fera aussi sa place lors de sièges, sur les remparts.

Bien sûr, il est inutile de rapporter le très célèbre haut fait d’arme sur l’illustre personne de Richard Coeur de Lion qui inscrivit l’arbalète au panthéon de l’histoire.

3. Je me dois de préciser que l’un des nombreux documents qui m’ont aidés à rédiger cet article relate que deux pays revendiquent l’invention de l’arbalète : la Chine dont il a déjà été question et la Grèce, ce qui est surprenant au regard des chroniques d’Anne Comnène. La Grèce aurait commencé par la construction des catapultes, vers 400 av. J.C., puis réduit la taille des catapultes à celle de l’arbalète. Il n’y a pas plus de précision. Cette information est tirée de la revue «Pour la Science», article écrit par Vernard Foley, Georges Palmer et Werner Soedel.

L’arbalète du XIIIème gagne en puissance. Afin de faciliter son armement, l’étrier fait son apparition en bout d’arbrier (4). Puis afin de parachever ce balbutiement de mécanisme d’armement, le système à croc. Ce système est attaché à la ceinture de l’utilisateur par une chaînette ou un cordon court. Lors de l’armement, la corde de l’arbalète est prise par le crochet et se tend par la poussée du pied posé dans l’étrier. Ainsi, les muscles des jambes relaient ceux des bras.

Cependant, ce système n’étant muni que d’un seul croc, l’arbalétrier se voit alors obligé de le positionner sur la corde d’un côté ou de l’autre de l’arbrier, déséquilibrant systématiquement l’arc lors de sa tension (si l’on place, par exemple, le crochet sur la corde du côté droit de l’arbrier, la branche droite de l’arc va davantage se plier déviant alors la trajectoire du carreau vers la gauche). Très vite fut inventé le double crochet, palliant cet inconvénient.

Puis le croc de ceinture fut amélioré par l’apport d’une poulie intermédiaire à des fins de multiplication de l’effort à fournir.

L’utilisation de l’arbalète dans les armées est telle que sa forme est réduite à sa plus simple expression afin de suppléer à la demande et de minimiser son coût de construction qui, comparé à l’arc, restait fort dispendieux. Ainsi donc, l’arbrier perd son galbe du XIIème pour revêtir un aspect droit et rustre.

Il existe aussi, en parallèle, une arbalète dite de «meutrière». Elle a pour particularité sa poignée de déclenchement sur le côté droit de l’arbrier (et non en dessous). Ainsi donc, l’arbalète peut être exploitée dans une meurtrière en la faisant pivoter sur son axe d’un quart de tour afin que l’arc se retrouve en position verticale.

On s’est longtemps demandé comment les carreaux pouvaient être tirés depuis des meurtrières, cette découverte répond à l’énigme.

Evidemment, je me suis empressé de reproduire cette arbalète qui figure parmi les raretés.

Du XIIème au XIVème, on retrouve systématiquement la dite «fausse corde» d’arbalète (citée dans la règle de l’Ordre du Temple), fixée sur les deux départs de branches de l’arc, passant au dessus de l’arbrier et pressant le carreau dans la gorge. Elle est le prémice de la languette d’acier qui, elle, sera en fonction dès le XIVème. Placée au-dessus de la noix (5), elle permettra de mieux maintenir, d’une part, le carreau en le pressant sur l’arbrier lors de tirs plongeants, comme du haut d’une tour, d’autre part, le contact carreau-corde le temps du décochement afin d’éviter et une perte de puissance et une déviation flagrante du trait. A cette même période apparut le pied-de-biche ou la chèvre, mécanisme d’armement destiné aux arbalètes de chasse et à celles des cavaliers.

Il est temps d’éclairer la fameuse péripétie des cordes mouillées qui nous coûtèrent, entre autres la défaite de Crécy en 1346. Une corde en chanvre mouillée se rétracte et augmente la puissance de l’arbalète. Si les cordes mouillées des arbalètes lors de la bataille de Crécy se sont détendues, c’est qu’elles étaient faites de boyau ou de nerf.

Arbalète XIVème de guerre

Un changement radical dès 1400 va considérablement amplifier la puissance des arbalètes : son arc jusqu’alors composite (le coeur : corne et bois entouré de tendon (nerf) et parcheminé) va être remplacé par un arc en acier. Ces arcs n’étaient pas d’une seule pièce compte tenu de l’impossibilité de produire des lingots d’acier assez grands. L’arc était donc constitué de plusieurs pièces soudées entre elles, créant à chaque soudure un point de fragilité mettant en péril l’arbalétrier.

Cependant, la mise en place de ces arcs en acier décuple tant la tension de l’arbalète qu’il faut inventer un nouveau mécanisme d’armement appelé moufle ou tour, passot, coursel, girelle ou bien encore rouet. Le maniement de l’arbalète munie de son tour est lent et oblige le tireur à se mettre à couvert derrière un pavois le temps du réarmement.

Mais la précision et la longue portée de ses carreaux compensaient largement cet inconvénient. Un carreau pointeau (6) pouvait percer une armure à 90 mètres, de quoi se tenir à carreau ! Hé oui ! Cette expression a survécu. Si on comprend bien qu’elle nous met en garde, on ne la comprend pas sémantiquement. «Se tener a carrel», expression occitane du XIIIème, pourrait, à mon sens, bien vouloir dire se tenir à bonne distance d’un carreau d’arbalète. Or, d’après l’étymologie du mot «carreau», il est consigné que l’expression «se tenir à carreau» date du XIXème et vient du jeu de cartes «qui garde à carreau n’est jamais capot». Mais les emblèmes du jeu de carte ne sont autres que le symbole des différentes armes : carreau, coeur, pique, trèfle. «Il faut y voir dans le carreau ; le nom du projectile lourd lancé par l’arbalète où s’annonce l’artillerie, dans le coeur ; le courage, vertu distinctive de la noblesse, laquelle compose exclusivement la cavalerie, dans le pique ; le rappel de l’arme caractéristique de l’infanterie, dans le trèfle ; le fourrage dont l’intendance a la responsabilité» (7). Au regard de ces explications, il ne fait aucun doute pour moi que «se tenir à carreau» est bel et bien une réminescence du XIIIème et non pas un dérivé de l’expression du XIXème.

Nous voilà désormais au fait.

L’arbalète à moufle s’est imposée dans la défense ou l’attaque des fortifications lors de la seconde moitié de la Guerre de Cent ans (1337-1453). Les anglais en feront les frais.

La seconde moitié du XVème oeuvre à la construction d’arbalètes, plus trapues et fortement mécanisées par le cric, autrement nommé crénekin (de l’allemand kraenchen qui veut dire petite grue). L’arbalète ainsi équipée, les cavaliers pouvaient aussi en disposer.

L’arbalète a ainsi fait carrière jusque François 1er lors de la bataille de Marignan où se distinguèrent les 200 arbalétriers à cheval de la garde du Roi.

Pour l’historiette, l’auteur de la Discipline militaire nous narre en 1536 :

«qu’il n’y avait devant Turin qu’un seul arbalétrier dans l’armée française, mais que cet homme, à lui seul, tua et blessa plus d’ennemis que n’en tuèrent et blessèrent les meilleurs arquebusiers enfermés dans la place. Cet arbalétrier était un habile tireur puisqu’à la Bicoque, il tua d’un carreau Jean Cordonne, capitaine espagnol, qui avait levé, un instant, la visière de son casque pour respirer». La tête de l’arbalétrier fut mise à prix.

Mais c’est surtout sous Charles IX (petit-fils de François 1er) que le règne de l’arbalète comme arme de guerre s’achève, par l’avènement des armes à poudre qu’il revendique. Ainsi, Charles IX décrète «tous les arbalestriers et archers seront dorénavant tenus de porter harquebuse au lieu des arcs et arbalestres».

L’arbalète tire donc sa révérence au XVIème en France pour se tailler un nouvel avenir en Afrique équatorielle. En effet, des explorateurs européens l’introduiront et elle s’y maintiendra pour la chasse jusqu’au début du XXème siècle. A noter aussi qu’en Norvège, jusqu’à la fin du XIXème, l’arbalète était de rigueur pour la chasse à la baleine.

5. Noix simple : pièce cylindrique en corne de cerf avec encoche qui sert à retenir la corde lors de l’armement. Le carreau vient en butée contre elle.

Noix double : même pièce, mais plus large et creusée en son centre permettant au carreau de s’y loger et rendant le tir plus puissant. En Angleterre, les noix étaient en acier ou en bronze. Actellement je les fabrique en acier.

6. Voir rubrique «Mes réalisations» en fin d’article.

7. Propos extrait du livre «La puce à l’oreille» par Claude Duneton.

Mes réalisations

L’année 2004 a été fructueuse en nouveautés. A la suite de recherches et d’échanges avec certains de mes clients férus et collectionneurs, dont Mr Sadonne, quatre arbalètes aux personnalités singulières nous sont revenues de l’ombre.

Plusieurs siècles après l’ère romaine, l’arbalète refait son entrée au Xème siècle, parée de bois de hêtre et chapeautée d’un épais arc de frêne. Elle s’impose avec autorité par sa charpente rustre, mais taillée avec élégance. Dépouillée de tout bardage métallique, elle n’en reste pas moins de conception solide. Une forte bride de chanvre enserre l’arc, absorbant ainsi les ondes de choc de l’arc court. La longue poignée de bois permet un principe de levée de corde déclenchant le tir. La noix devra encore attendre 200 ans avant d’être adoptée.

Je dois cette nouvelle création à M. Sadonne qui m’a envoyé les plans. Je profite de l’occasion pour le remercier publiquement et lui laisser la paternité du nom «arbalète à deux pieds», du fait que son armement nécessitait que l’on posât ses deux pieds sur l’arc.

L’arbalète dite de «Charavines», parce qu’elle fut découverte dans le lac de Charavines à Colletière (38), date du XIème. Son arbrier fin et galbé lui donne un air racé. Son arc d’un seul tenant ne fait pas moins d’un mètre vingt, ce qui est fort surprenant. En effet, l’arc de l’arbalète n’est autre qu’une résurgence de l’arc et l’arbalète, un dérivé. Alors, comment expliquer que l’arc de l’arbalète du Xème soit court et en composite, c’est-à-dire qui a subi un changement, voire une évolution, alors que celui de l’arbalète du XIème s’apparente davantage à un arc traditionnel par sa longueur. Peut-on croire à une erreur de datation ?

La longueur de l’arc en frêne oblige à un recul plus important de l’accrochage de la corde, entraînant un déploiement souple de l’arc lors du tir, contre sec avec un arc court.

Exemple d’une création faite sur commande : l’Arbalestrielle.

Cette particularité demande impérativement un appui contre l’épaule pour donner toute sa puissance au jet du carreau lourd, alors qu’une arbalète à arc plus court peut se placer sur l’épaule ou sous le bras, la force du tir étant localisée uniquement dans l’avant de l’arme.

Son déclenchement est également un principe de levée de corde mais sans poignée. Il s’agit d’un simple levier placé sur l’arbrier, basculant sur un axe.

Dès mes premiers essais, ma visée a été contrariée par mon pouce placé sur le levier métallique qui, d’après les plans, était une pièce longue et droite. J’ai donc dû la couder à droite. L’arbalète de Charavines est aussi une recherche de M. Sadonne ainsi que l’arbalète du XVème baptisée «d’homme-à-pied» parce qu’elle était exclusivement la compagne des hommes de troupe. J’y reviendrai après celle du XIIIème.

L’arbalète de meutrière du XIIIème-XIVème, outre sa caractéristique citée précédemment, est équipée d’une noix taillée en trapèze dans laquelle vont s’emboîter les carreaux dont les extrémités sont de même forme. Ainsi donc, le carreau ne peut glisser ou chuter lors de la position verticale de l’arc. La rainure est deux fois plus profonde que sur une arbalète à tir horizontal, toujours dans le but d’optimiser le maintien du projectile qui atteint alors un diamètre de 15 mm. Ne possédant pas encore de languette de maintien, c’est la fameuse «fausse corde» qui remplit cet office. Afin de pouvoir déborder de la meutrière, le carreau totalise une longueur de 55 cm et est sans empennage, ceci pour éviter de buter contre les bords de l’archère et donc être dévié.

Les plans de cette arbalète me viennent de M. Tonetti Emmanuel que je remercie vivement.

L’arbalète «d’homme-à-pied» du XVème est lourde, très lourde quand elle est chevauchée de son cric (8,6 kg). On sent alors, dès la première prise en main de cet outil compact, toute la puissance et la force, comme un flux bouillonnant contenu. Son arc court et en acier, d’où une poignée très longue, confère à l’arme un tir dur et concentré. Sa munition est un lourd carreau pointeau de 40 cm dont 14 cm de fer* emmanché sur un fût de 15 mm de diamètre et terminé par un empennage de cuir. Deux ferrures de 3 mm d’épaisseur maitiennent l’axe de la noix évitant l’usure du bois lors de la rotation de l’axe. La crosse s’élargit pour un meilleur placement contre l’épaule. La bride en cordelle de chanvre, disparue au XIVème, réapparaît sur ce modèle du XVème , un retour au source pour un dernier hommage.

fer* : pointe forgée

Voilà pour les dernières nées. Elles apparaîtront bientôt sur mon site auprès des autres déjà bien connues :

  • L’arbalète à gueule de diable du XIIème
  • L’arbalète de chasse du XIIIème
  • L’arbalète à bride du XIIIème
  • L’arbalète de rempart du XIVème dite à tête d’aigle
  • L’imposante arbalète de guerre du XIVème
  • L’arbalète de poing.

ATTENTION

Je souhaite mettre en garde les amateurs qui veulent se lancer dans la construction d’une arbalète. Une tension mal gérée peut briser l’arc et mettre en danger l’utilisateur. De même qu’une noix ou une languette mal positionnée peut entraîner un retour de carreau vers son visage. Tel un instrument de musique qui demande, pour atteindre une parfaite harmonie, une symbiose entre chaque élément, l’arbalète exige une même rigueur.

Les carreaux forgés

  • Le carreau dit «classique» tient son nom de la forme du fer à section carrée. Il deviendra le terme générique pour désigner les différentes sortes de projectiles d’arbalètes.
  • Dans mon salon trônent sur un rectangle de velours rouge, à portée du regard et de la main, de vraies fers d’arbalète, classiques et perce-mailles, datant du Xème siècle. Ils sont, lorsque je forge, l’âme qui investit ce geste ancestral. Chacun des carreaux a une particularité.
  • Le perce-maille : longueur du fer 17 cm, section carrée de 6 mm sur toute la longueur de la pointe. Il est emboîté sur un fût de 10 mm avec empennage de cuir. Il était d’une totale efficacité sur un haubert de mailles, en se faufilant sans résistance entre les mailles qui se refermaient alors sur l’étranglement situé entre la pointe et la douille.
  • Le tranchoir en V : il est retrouvé en grand nombre sur les lieux de batailles navales où il tranchait les cordages et déchirait les voilures des navires. Son utilisation à terre était destinée à sectionner les jarrets des chevaux, désarçonnant son cavalier et semant le désordre. «Certains arbalétriers s’enorgueillissent de pouvoir couper les rênes d’un cheval au galop ou encore toute corde tendue sur une machine de guerre».
  • Le tranchoir plat : lui aussi sert à trancher les jarrets mais son utilisation première est réservée à couper les cordages en appui, comme par exemple les chemises (les palissades) et les bobines d’enroulement des cordages des machines de guerre.

Carreaux forgés

  • Le matras ou assommoir : son fer est une masse cylindrique de métal plein de 22 mm d’épaisseur et de diamètre. Totalisant une masse de 80 grammes, propulsé à 260 km à l’heure au XIVème, on comprend aisément la terreur qu’il inspirait aux chevaliers. Un matras pouvait, dit-on, briser des côtes sous un plastron. Ce projectile, tiré dans un casque, assommait ou désarçonnait. Un «homme-à-pied» protégé d’une simple broigne de cuir en mourait. Fait rare, certains arbalétriers gravaient en creux sur la face plate de l’embout un signe de reconnaissance, ceci afin de revendiquer auprès de leur seigneur la prise d’otage du noble, en vue d’une infime part de la rançon. Ce carreau servait également à la chasse des gibiers à fourrure précieuse qu’on assommait d’abord afin de ne pas l’endommager.
  • Le pointeau : longueur du fer : 14 cm, section pyramidale de 0 à 10 mm, emmanché sur un fût de 17 mm de diamètre, terminé par un empennage de cuir. Son efficacité n’est pas seulement due à la redoutable puissance des arbalètes de guerre du XIVème, mais aussi à son fût exagérément lourd. Son impact, dans un premier temps, perce l’armure, puis ses quatre angles tranchent le métal. Au moment où la friction freine le fer, l’inertie accumulée par le fût est restituée, et telle une masse, enfonce davantage le fer.
  • Le vireton ou la dondaine ou encore dondine : «lafaridondon, la faridondaine» provient de la chanson de soldat qui disait «a feri dondaine», c’est-à-dire la dondaine a féré la cible. Ces modèles de carreaux apparaissent au XVème. Il en existe deux types : un au fût renflé en son centre et un au fût tronconique. Le premier a un empennage hélicoïdal, essentiellement pour parer un vent de travers en lui impulsant une rotation sur son axe et conserver une trajectoire linéaire et stable. D’aucuns pensent que ce carreau poursuit sa rotation lors de la pénétration, ce qui n’est absolument pas le cas. Cependant, cet empennage à forme hélicoïdale soumet le carreau à une forte résistance à l’air, le ralentissant dans sa course. Ce désavantage est contrebalancé par sa force de frappe, due à son fût lourd et renflé qui redistribue son inertie lors de l’impact, tout comme le pointeau. On raconte encore à mots couverts qu’il ne fallait «pas moins de trois carreaux viretons pour disloquer un bouclier». Son fer est à double ardillon (en forme d’hameçon doublé). Cette pointe était extrêmement redoutée, car dès lors qu’elle avait pénétré les chairs, le seul moyen de l’extraire était de la pousser jusqu’à ce qu’elle sorte, contrairement aux carreaux classiques qui pouvaient être retirés à l’aide d’un extracteur. Il est dit que c’est précisément ce type de projectile qui blessa Jeanne d’Arc. Le deuxième type de dondaine est, quant à lui, démuni d’empennage. Sa longueur totale ne dépasse pas 15 cm contre 30 à 32 cm pour le premier modèle. Son fût tronconique joue le rôle d’un empennage, évitant au carreau de vriller à l’arrière et assure, par la restitution de sa masse, un choc violent. Leur coût était moindre à l’achat du fait de l’absence d’empennage. En effet, leur pose était un travail fort minutieux, et dit-on bien plus que sur une flèche, car il était indispensable qu’ils soient rigoureusement positionnés.
  • La feuille ou «feuille de laurier» : carreau au fer en forme de feuille de laurier aux deux bords tranchants et servant exclusivement à la chasse. Son fût est classique, c’est-à-dire d’un diamètre de 10 mm avec empennage de plume.
  • Le carreau classique : fer à section carrée et parfois triangulaire, à douille (8) ou à soie (9). Leur taille varie de 45 mm avec un poids de 12 g à 110 mm pour un poids de 40 g. Il est impossible d’en faire ici l’inventaire. Toutefois, juste pour l’Histoire, voici un fait bien singulier. Sur une motte féodale du Xème, ont été découverts à Barbezière (17) environ 200 carreaux. La plupart font 60 mm environ pour 25 g (taille classique), d’autres atteignent les 75 mm totalisant un poids de 32 g et les plus petits 45 mm pour 12 g. Au regard de la quantité, ces carreaux sont les vestiges d’une bataille. Comment explique-t-on alors une telle diversité de tailles de fers sur un même site pour un même événement ? On peut envisager que les 75 mm étaient réservés, vu leur grosseur, aux chevaux. Mais qu’en est-il des 45 mm ? Ces petits fers ne peuvent transpercer ni cotte de mailles, ni broigne de cuir. Il fallait alors impérativement viser des organes vitaux et découverts. Serait-ce une récupération, par le forgeron, de petites chutes de fer inutilisables par ailleurs ?

8. Carreau à douille : er tronconique formé par l’enroulement d’une feuille de métal destiné à recevoir la hampe ( fût ).

9. Carreau à soie : prolongement en pointe de fer rentrant dans la hampe.

Quelques bizarreries

Arbalète à jalet : XVème, armement manuel. Destinées à des petits gibiers tels qu’oiseaux ou lapins. Projectile : balle de pierre, d’argile ou de plomb logé dans un petit sac de cuir. Certains modèles, afin de mieux guider le tir, étaient agrémentés d’un canon long fendu sur chaque côté afin de laisser passer la corde. Le petit sac de cuir s’introduisait alors dans le canon. Un passage du poème Le plaisir des champs de Claude Gauchet (1584), peint assez bien la manoeuvre de cette arme (10) : «Lors avec l’arbalestre à la main je m’approche,
Je bande, et le boulet dans la fronde j’encoche Et l’oeillet dans la noix ; puis par le trou je voy Et le merle et le poinct ; alors m’arrêtant coy, Je desserre la clef*. La serre se desbande, Et l’arc, qui se rejette avecque force grande, Envoye en l’air le plomb qui, vers l’oiseau dressé, L’atteint et l’abat mort, d’oultre en oultre percé.» Arbalètes ornementées très prisées par les dames. Catherine de Médicis qui en possédait une «en tiroit fort bien, et toujours quand elle s’allait pourmener, la faisoit porter». Vendues en Angleterre jusqu’au début du XIXème pour la chasse au lapin.

*desserrer la clef : appuyer sur la poignée de déclenchement

Arbalète à tuer les taupes :

Elles étaient munies d’une fourche à trois piques destinée à être plantée verticalement au dessus des taupinières. Son déclenchement se faisait dès que la taupe sectionnait le fil retenant la corde. Arbalète à tuer les taupes.

Arbalète de pêche :

Equipées d’un levier d’armement, d’un arc d’acier de 40 cm de long, d’une chaîne à trois maillons faisant office de corde et d’un tube en fer à la place de l’étrier. On plantait un long bâton dans le lit de la rivière. On ajustait l’arbalète à l’aide du tube sur ce bâton. Un harpon servait de projectile et un appât était placé en bout de visée.

Un de ces modèles a été retrouvé dernièrement dans une décharge sauvage par un de mes voisins. Hélas ! Ce jour là je n’y étais pas et impossible de la négocier. Affaire à suivre.

Et pour finir, les arbalètes ont même inspiré des poètes, en la personne de Guillaume de Lorris dans le très célèbre Roman de la Rose dont voici l’extrait :

«Vous peussiez les mangoniaus
voir par dessus les créniaux
et aux archières* tout entour
sont les arbalètes à tour**
qu’armure ne peut tenir.
Qui près des murs voudrait venir
il pourrait bien faire que nices *** »

*meurtrières,**moufle,***sottement»

Recherches par Mr Adrover Serge

Rédaction par Mlle Ghériballah Halima.

Bibliographie

L’arbalète de guerre par Pierre-Denis BOUDRIOT Histoire de l’Archerie

La puce à l’oreille, Claude DUNETON, livre de poche 1990 revue «Histoire Médiévale» n° 15

10. Propos extrait de la revue «Histoire de l’archerie»

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